Jean-Luc Perrossier Bio
Après des années d’interruption, je suis redevenu photographe amateur depuis quelques années.
Mes sujets de prédilection ? Derrière les scènes vues, déceler l’insolite, le tragique et l’espoir constitutifs du destin humain.
Jean-Luc Perrossier  actualités
Lors de l'exposition de  Verneuil sur Avre et d'Iton  Jean-Luc expose son travail photographique Tombes oubliées.
Lorsque je me promène dans un cimetière je prends mon temps. Je « prends » du temps : je photographie du temps.
Dans les cimetières il y a, face à nous, du temps. D'abord il y a le temps passé qui se montre par les dates inscrites ou par le style des tombes de jadis. Il y a aussi le temps qui s’écoule au moment présent, il arrive et s’éloigne comme les nuages qui courent dansle ciel. Et encore il y a, là sous nos yeux, le temps à venir, puisque ce qui est advenu aux uns sera ce qui adviendra aux autres. Passé, présent, futur, ici les trois temps de l’indicatif se conjuguent et se combinent. Ils forment les entrelacs d’une musique silencieuse que mon boîtier photographique se propose de capter.
Les cimetières sont des lieux de mémoire. La mémoire est un fluide qui se joue du temps. Avec les paroles et les textes écrits, avec les dessins et les toiles peintes, les photos nous permettent d’y naviguer. Quant aux tombes elles constituent d’utiles repères, voire même des points d’amarrage dans un tel océan.
Un cimetière sera notre dernier champ de bataille face à la mort, le dernier lieu du combat de nos prétentions à bannir le temps, et là, une nouvelle fois, nous devrons abdiquer. Le glissement dans le linceul, le glissement sous une pierre tombale, qu’elle soit somptueuse ou modeste, c’est inexorablement un glissement vers l’oubli.
Car au final survient toujours l’oubli. La mémoire et l’oubli se disputent sans cesse la part qui leur revient. Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir et tant qu’il y a la vie il y a la mémoire. Cependant la vie passe et la mémoire se délite, les générations passent et la mémoire s’en va. Vient donc le temps de l’oubli, c’est comme un second décès, définitif et secret.
On s’égare le long des allées de l’oubli, devant des monuments funéraires devenus inutiles : les tombes qui ne seront plus jamais entretenues, aux inscriptions érodées, aux stèles renversées, aux soubassements éventrés. Elles témoignent des atteintes du temps, le temps qui profane indistinctement ces restes de souvenirs. La nature reprend ses droits. Herbes et fleurs sauvages s’enracinent. Le sol s’affaisse çà et là. Les « concessions à perpétuité » s’écroulent : que faire alors d’une éternité cassée ?
Dans certains cimetières il existe une parcelle particulière se trouvant à l’écart des autres, celle qui avait été réservée pendant les années qui suivirent la dernière guerre mondiale aux tombes d’enfants décédés « en bas âge ». Un art funéraire naïf et touchant y a été développé, empreint de tendresse et de pureté, où prime la couleur blanche : des tombes ressemblant à des berceaux sur lesquelles était disposée une bimbeloterie constituée d’angelots et de petits jouets en céramique ainsi que des roses artificielles. Un vertige nous saisit devant une sorte de bouleversement du temps : aujourd’hui ces enfants seraient en âge d’être grands-parents. Ils sont entre-temps devenus orphelins, leurs parents ne sont plus là, plus aucun pleur à leur chevet, juste le murmure du vent.
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